Le syndrome de Prader Willi désigne une maladie génétique qui se manifeste, entre autres symptômes, par un appétit insatiable. Et s’il était possible de réguler la faim en ciblant une zone spécifique du cerveau ? C’est ce que suggèrent les conclusions d’une nouvelle étude publiées dans la revue Nature.
Les dessous d’une faim sans fin
Le syndrome de Prader Willi désigne une maladie génétique qui se manifeste, entre autres symptômes, par un appétit insatiable. Jamais rassasiés, même après des prises alimentaires copieuses, les patients ont tendance à se suralimenter et s’exposent ainsi au risque de développer une obésité potentiellement mortelle.
Fort de ce constat, le Dr J. Nicholas Betley, professeur américain adjoint de biologie à la School of Arts & Sciences, a souhaité décrypter les mécanismes sous-jacents de cette sensation de faim permanente.
C’est ainsi qu’une équipe de recherche internationale s’est constituée pour mener une étude sur le sujet. Et c’est une signalisation désordonnée au niveau du cervelet, une zone impliquée également dans le contrôle moteur et l’apprentissage, qui serait la cause de cette sensation de faim permanente.
Réguler la faim grâce aux neurones ?
Jusqu’à présent, les études scientifiques portant sur la façon dont le cerveau régule la prise alimentaire impliquaient des zones du cerveau postérieur et de l’hypothalamus. Conscients que les médicaments ciblant ces zones ne constituent pas vraiment de bons traitements contre l’obésité, les auteurs de l’étude se sont alors intéressés à une autre zone du cerveau : le cervelet. D’autant que l’analyse de données d’IRM fonctionnelles de patients atteints du syndrome de Prader Willi confirmait l’implication possible de cette zone précise du cerveau dans la sensation de faim permanente.
En poursuivant leurs recherches sur des populations de souris, les scientifiques ont alors découvert dans le cervelet un sous-ensemble de neurones chargés de signaler la satiété après une prise alimentaire. Il s’agit des neurones des noyaux cérébelleux profonds antérieurs du cervelet (aDCN).
À savoir ! Les neurones, dits « des noyaux cérébelleux profonds antérieurs » (aDCN : pour anterior deep cerebellar nuclei) sont des neurones spécifiques qui contribuent à réguler la prise alimentaire.
L’activation de ces seuls neurones a conduit les rongeurs à restreindre considérablement la taille de leur repas, qu’ils aient été privés de nourriture ou qu’ils aient reçu autant de nourriture qu’ils le souhaitaient auparavant. Pour les auteurs de l’étude, l’ampleur de cet effet s’est révélée «énorme» : les souris mangeaient aussi souvent que les souris normales, mais chacun de leurs repas était 50 à 75 % plus petit ! A l’inverse, lorsque les chercheurs ont inhibé ces mêmes neurones, les souris ont consommé des repas plus importants que la normale.
Mais aussi éloquents soient-ils, ces résultats ne permettaient pas encore aux scientifiques de décrypter le rôle exact de ces neurones. Freinent-ils seulement la suralimentation ou contribuent-ils à réguler la prise alimentaire en fonction d’autres paramètres ? Pour percer le mystère, les scientifiques ont donné aux souris avec neurones aDCN activés un aliment moins dense en calories. Ces souris ont alors mangé plus que la normale pour atteindre un nombre égal de calories suggérant par là que « l’animal calcule le nombre de calories qu’il absorbe et s’arrête quand il pense qu’il en a assez ». Ces observations donnent ainsi à penser que les neurones aDCN sont impliqués dans la régulation de la taille du repas des animaux.
Vers une meilleure prise en charge de la suralimentation ?
Les chercheurs ont finalement mené une dernière série d’investigations pour comprendre comment l’activité des neurones aDCN pouvait s’inscrire dans les mécanismes cérébraux déjà connus de la faim et de la satiété.
Pour cela, les scientifiques ont comparé l’effet de l’activation simultanée :
- Des neurones aDCN
- Des neurones AgRP
À savoir ! Les neurones AgRP désignent un groupe de neurones de l’hypothalamus qui sont activés en cas de déficit calorique. Leur activation engendre une alimentation accrue.
Après activation simultanée de ces deux groupes de neurones, les souris présentaient toujours une réduction spectaculaire de la prise alimentaire. Ce résultat suggère ainsi que la voie de signalisation du cervelet est indépendante de celle de l’hypothalamus.
Les comportements alimentaires pouvant également être déterminés par le plaisir de manger, les chercheurs ont souhaité déterminer si la signalisation de la dopamine associée au circuit de récompense neural était affectée par l’activation des neurones aDCN.
À savoir ! Le circuit de la récompense désigne les comportements associés aux besoins fondamentaux de l’organisme (manger, boire, se reproduire…) et plus largement, les expériences plaisantes apprises, qui sont reliés par le cerveau à de fortes sensations de satisfaction. C’est la répétition de ces expériences qui stimule le circuit de la récompense et entraîne la sensation de plaisir. Mais la stimulation de ce circuit peut aussi être à l’origine des phénomènes de dépendance et d’addictions.
Ils ont découvert que lorsque les neurones aDCN étaient activés, les niveaux de dopamine augmentaient dans le cerveau et la réponse de la dopamine à la consommation alimentaire ultérieure était atténuée. Cette découverte peut guider des stratégies thérapeutiques pour atténuer la « récompense » que les patients atteints du syndrome de Prader Willi obtiennent en mangeant, en aidant à gérer leur faim incontrôlable.
L’identification de ce petit groupe de neurones jouant un rôle dans la régulation de la faim et de la satiété permet ainsi de mettre en lumière une toute nouvelle cible pour de futures thérapies visant à réduire la suralimentation.
Déborah L., Docteur en Pharmacie
– Obésité : Cibler le cervelet pour supprimer la faim. santelog.com. Consulté le 14 décembre 2021.